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Lakshmi bébé
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Née dans l'Assam, Lakshmi transite par Thiruvananthapuram (Kérala) pour le dressage et arrive en 1997 à Pondichéry, à l’âge de 6 ans. Elle était dédiée au temple de Manakula Vinayagar à
Pondichéry. Chaque jour, elle bénissait les dévots et les touristes d’ici et
d’ailleurs sans préjugés. Elle participait à toutes les festivités des temples aux alentours. Dans ce contexte religieux, elle n’était pas un
éléphant comme un autre, c’était l’avatar de Ganesha. Un animal sacré dans la
mythologie hindoue, censé avoir une conscience pure. D’où cette tradition
séculaire de se faire bénir par cet être éthéré pour se purifier l’aura. Depuis 4000 ans, les éléphants domestiqués vivent parmi les Indiens...
Mais
les époques se succèdent et ne se ressemblent pas, les conditions de vie d’un
éléphant de temple aujourd’hui ne sont pas les mêmes qu’il y a quelques
siècles. Le bitume a remplacé les prairies, notre mode de vie a beaucoup changé... Les humains trop nombreux empiètent
sur leur territoire qui se réduit peu à peu à cause de la déforestation. Même les éléphants sauvages sont chassés de leur habitat naturel et quémandent sur le bord des routes, parce qu'on a construit partout !
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histoire du temple, rue Manakula Vinayagar |
Une fois par an, Lakshmi partait
rejoindre ses collègues pachydermes venus du Tamil Nadu, dans la réserve de Mettupalayam, au pied des montagnes Nilgiris. Une remise en
forme de 48 jours incluant des soins quotidiens, des vacances en pleine nature, des histoires de bipèdes à
raconter aux copains-copines. Elle était sociable et adorait discuter avec tous, éléphants comme humains. Fait rare, elle avait des défenses visibles comme
un mâle mais elle n’a jamais blessé personne de son vivant, même pas bousculé quelqu'un dans la foule.
Elle était
handicapée par des lésions aux pattes à cause des diabètes, ce qui expliquait
sa démarche dandinante. La station debout étant contre-indiquée, elle ne venait que l'après-midi au temple. Fini les friandises pour réduire son embonpoint, un
régime strict a été mis en place. Elle était toujours partante pour une balade sauf
les jours qui ont précédé sa mort, amaigrie, fatiguée, contrariée…
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Lakshmi adulte |
Lakshmi avait arrêté de s’alimenter la veille
du jour fatidique, le nouveau vétérinaire vient l’ausculter et lui administre un
traitement. Le matin de son décès, rien d’alarmant donc son cornac l’emmène
faire sa promenade habituelle. Elle insiste pour se diriger vers le temple (une
dernière fois) mais elle n’y a pas droit : repos forcé. La sociable qu’elle
était n’a pas supporté d’être confinée depuis un mois. Sans contact avec son
univers familier : temple, fan club et son pote Ganesha avec qui elle partageait ses secrets éléphantesques.
Son cornac, aussi
désespéré qu’elle, tente de la raisonner. Mais vers 6h du matin, elle s’écroule
sur le chemin du retour. Du côté opposé au cornac et l'assistant pour ne
pas les écraser avec ses 3,5 tonnes. On tente de la réanimer mais rien n’y fait : arrêt
cardiaque a révélé l’autopsie.
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dépouille de Lakshmi devant le temple
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Tout Pondichéry a pleuré sa mort subite surtout son cornac, Shaktivel, qui a passé 26 années avec
elle. Il s'en était occupé du matin au soir : il la nourrissait, la
soignait et dormait avec elle dans le local situé à Eswaran Kovil street. Il passait 2h à la nettoyer et l'apprêter chaque matin. L'ayurvéda est privilégié à l'allopathie par les cornacs qui sont formés de père en fils. Il s'absentait seulement 10 jours par mois pour aller rejoindre sa famille
restée au Kerala, son frère Sendhil prenait la relève. Shaktivel n’en était pas
propriétaire, juste salarié, Lakshmi appartenait au temple. Un métier qui ne
permet pas de gagner des millions, c’est une vocation, une vie de contraintes.
Le cornac
et l'éléphant sont liés jusqu'à ce que la mort les sépare,
un lien subtil spirituel au-delà de l'attachement qu'on peut avoir pour un
animal de compagnie. Son fidèle compère est effondré et inconsolable. C’était son enfant et elle le lui
rendait bien. Elle était choyée et aimée quoi qu’en disent les détracteurs. Ils allaient bientôt déménager dans un nouveau local plus spacieux en construction à Chetty street...
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Unis, jusqu'à ce que la mort les sépare |
Il y a eu beaucoup de polémiques (avant) sur sa captivité et il y en aura beaucoup (après) sur les causes de son décès. Lakshmi aurait été placé sous le contrôle du Département des forêts et changé de vétérinaire le dernier mois. Elle aurait reçu un traitement médical inhabituel et l'ordre de rester cloîtrée dans son local. Les organisations de défense des animaux ont tenté à plusieurs reprises de l’extraire du connu pour la placer dans l’inconnu ces dernières années. Un calvaire, l'isolement pour un éléphant domestiqué, l'acclimatation était un échec. Elle revenait toujours chez elle, son destin était lié à Pondichéry…
Une vie d’éléphant de temple : mieux ou pire que ses congénères dans des "Resorts" déguisés en réserves pour distraire les touristes, un cirque, un zoo ou un camp de travail forestier ? Tous les animaux sans exception, même les comestibles, méritent de vivre libres comme nous les humains ! Mais, est-ce possible dans le monde que nous avons construit ? Sommes-nous, nous-mêmes des êtres libres ? Sinon, pourquoi on esclavagiserait nos animaux, en orient comme en occident, au nom de l’héritage culturel ou cultuel ? La maltraitance animale s’est banalisée sournoisement partout dans le monde !
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dernier adieu |
Lakshmi, c'est 26 ans d'amour inconditionnel pour qui savait le recevoir. J’ai reçu sa bénédiction à chaque
moment crucial de ma vie, la dernière fois ce fut en octobre 2022. Sa soudaine disparition est un déchirement, pour moi qui l'ai connue depuis ses débuts à Pondy, comme quand on perd un membre de sa famille proche.
Avec
ses koloussous aux chevilles et son collier de clochettes, on l’entendait au
loin, un bruit si familier qui ne sera plus audible. Son emplacement au temple restera vide, Lakshmi n’est
pas remplaçable et ce n’est pas souhaitable… On doit tirer des leçons de ce drame.
Que son âme perdure dans la lumière
éternelle 🙏 Chilpa Dévi
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statue en sa mémoire dans la rue Kamatchi ammane |
Un hommage à Lakshmi mais aussi à Shaktivel son cornac.
Texte et photos, tous droits réservés @Chilpa Dévi, auteure